samedi 19 mai 2012

Disséqué


Obscène : quand le dedans s’exhibe pour la première fois, il éclate : il semble faire l’étalage des atours depuis tant de nuits recelés - à vous en dégoûter.

Sapate : mais quelles couleurs rutilantes dans l’écrin de cette peau rocailleuse !

Fixion : fixation sans croix, à une seule planche par un seul clou - le poisson est plus économe que le crucifié. Motif supplémentaire pour un chrétien, moins doloriste et plus incisif, de faire du poisson un symbole divin ?

Viscéral : la tête bien ancrée, il gardera son sang froid, mais sa bile nue s’échauffe au soleil. Or il ne lui reste plus que ses viscères mollement fiévreux pour reposer le chef de son corps, et une planche de bois pour seul salut…

Pantin sédentaire : prothèse de bois pour un poisson qui ne peut plus désormais que flotter ou pourrir sur place – radeau médusé.

Aveu : j’ai dévoré la chair, sans considérer qu’il avait bien fallu dépecer la bête, sans songer que j’aurais à contempler le noyau de cette dissection : cette tête de poisson aux yeux noirs dormants, à laquelle reste accroché, comme une pendule, tout un réseau compliqué de tuyaux marbrés et de sachets multiformes, pleins d’humeurs mystérieuses pour le profane.

Mécanique : dépecée, démontée, disséquée, dissociée, déconnectée, décomposée… Cassée : je ne saurais jamais recoller les morceaux. Mais tout est bien : j’ai déjà mangé l’essentiel, j’ai déjà fait mien le comestible ; j’ai recyclé, redonné de la vie, du mouvement et du jeu par cette digestion. C’est la raison pour laquelle le comestible n’est plus sur la photo : il est déjà en moi, celui que vous ne voyez pas – marionnettiste hors-champ. Vous qui regardez ces mots, considérez s’il n’y a pas un peu de la chair de cette roussette éventrée dans les caractères imprimés par mes doigts sur le clavier.

Charitable : les premiers ont mangé, ceci était son corps – la trace demeure pour les derniers. Et les derniers seront les premiers à profiter de ces restes luisants ; ils pourront toujours les trouver beaux, s’ils ne veulent pas s’en nourrir. 


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